Issue de plusieurs initiatives parlementaires, la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité a été définitivement adoptée le 13 octobre 1999.
Ce texte tend à permettre à deux personnes qui vivent ensemble sans être mariées d'organiser leur vie commune. Compte tenu du développement de l'union libre dans notre société, les parlementaires ont, en effet, entendu donner aux couples, hétérosexuels ou homosexuels, ayant une certaine stabilité, la possibilité de définir dans un cadre contractuel les arrangements matériels qu'implique nécessairement une cohabitation durable.
Le cadre contractuel ainsi défini est d'une nature radicalement différente de l'institution du mariage. A la différence de celle-ci, le pacte civil de solidarité a essentiellement pour objet de définir des droits et obligations à caractère patrimonial. Il ne peut être assimilé à l'engagement moral que comporte le lien matrimonial et, à la différence de ce dernier, est dépourvu de tout effet en ce qui concerne tant la filiation des éventuels enfants des partenaires que la vocation héréditaire d'un des cocontractants vis-à-vis de l'autre.
Toutefois, et dès lors que la vie du couple se trouve ainsi inscrite dans un cadre juridique, le législateur a entendu y attacher des effets de droit pour l'application de certaines législations, notamment en matière fiscale.
Ce texte a été déféré au Conseil constitutionnel, d'une part, par plus de soixante députés, d'autre part, par plus de soixante sénateurs, qui l'estiment contraire à la Constitution sur plusieurs points. Les requérants adressent à la loi adoptée de nombreuses critiques, qu'il paraît possible de regrouper en distinguant la procédure d'élaboration de la loi, l'exercice par le législateur de sa compétence, les conditions de conclusion du pacte civil de solidarité, son régime juridique au regard du droit civil et du droit fiscal et enfin les conditions de sa dissolution.
En outre, le texte est également critiqué, en tant qu'il comporte une définition du concubinage.
Ces deux recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur le respect des règles encadrant l'initiative des lois
A. - Les requérants contestent à cet égard la procédure d'élaboration de la loi, à un double titre.
1. Ils mettent d'abord en cause sa conformité au règlement de l'Assemblée nationale.
L'examen du texte contesté, qui a commencé à l'Assemblée nationale le 3 novembre 1998, avait été précédé de débats sur un texte d'inspiration comparable, tendant également à conférer un statut légal aux couples non mariés. Ces débats avaient cependant pris fin avec l'adoption d'une exception d'irrecevabilité, laquelle avait entraîné le rejet de ce premier texte.
Estimant que la nouvelle proposition examinée par le Parlement n'était, en réalité, que la reproduction de la précédente, les requérants en déduisent que son examen, puis son adoption, n'ont pu avoir lieu qu'en violation des dispositions du 4 de l'article 91 du règlement de l'Assemblée nationale, d'où il résulte que l'adoption d'une exception d'irrecevabilité signifie que le texte est contraire à la Constitution, et de celles du 3 de l'article 84 du même règlement, aux termes duquel « les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an ». Ils y voient « un véritable détournement de procédure au regard du contrôle de constitutionnalité », ainsi qu'une violation de l'article 34 de la Constitution.
2. Les auteurs des saisines font par ailleurs valoir que la proposition de loi aurait dû être déclarée irrecevable, au regard des règles encadrant l'initiative des lois en matière financière.
Ils estiment, en effet, que l'adoption du texte entraînera, à travers les avantages fiscaux et sociaux qu'il a pour effet d'accorder, d'importantes diminutions de ressources publiques, sans que la compensation prévue soit réelle et suffisante. Les députés requérants considèrent également que les modalités d'enregistrement du pacte civil de solidarité sont de nature à aggraver les charges publiques.
Les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, soutiennent en outre que les dispositions de l'article 7 de la loi, qui accordent la qualité d'ayant droit à la personne liée à un assuré social par un pacte, ont été adoptées en méconnaissance des exigences du quatrième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relatif au domaine des lois de finances.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que la loi adoptée ne s'expose à aucune de ces critiques.
1. En premier lieu, l'argumentation tirée du règlement de l'Assemblée nationale est inopérante.
En effet, et ainsi que le reconnaissent les auteurs des saisines, les règlements des assemblées n'ont pas, par eux-mêmes, valeur constitutionnelle. Cette jurisprudence constante a notamment été rappelée, à propos des règles régissant la recevabilité des initiatives parlementaires, par la décision no 93-329 DC du 13 janvier 1994.
Ce n'est que dans la mesure où la disposition invoquée ne ferait qu'exprimer une règle constitutionnelle que celle-ci pourrait être utilement invoquée. Or en l'espèce, le principe est, au contraire, celui exprimé par le premier alinéa de l'article 39 de la Constitution, aux termes duquel « l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ». Le pouvoir d'initiative des parlementaires n'étant pas soumis à d'autres limites que celles résultant des article 40 et 41 de la Constitution, le règlement de l'Assemblée nationale ne saurait recevoir une interprétation contraire à celle-ci, et on voit mal comment l'article 34, dont se prévalent les députés requérants, pourrait être utilement invoqué au soutien de leur moyen.
2. En second lieu, l'argumentation tirée des règles encadrant l'initiative des lois en matière financière n'est pas davantage fondée.
S'agissant des dispositions de l'article 40 de la Constitution, le bureau de la commission des finances de l'Assemblée nationale, saisi en application du deuxième alinéa de l'article 92 du règlement de cette Assemblée, a estimé qu'elles n'étaient pas applicables à la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, ainsi qu'il ressort des indications fournies aux députés à l'ouverture de la séance du 3 novembre 1998.
a) On observera d'abord qu'il l'a fait à bon droit.
D'une part, la proposition comportait un article 12 prévoyant de compenser les diminutions de recettes fiscales et de cotisations sociales, respectivement, par une majoration des droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 A et 885 U. La rédaction ainsi adoptée l'a été en parfaite conformité avec les critères retenus en la matière, tels qu'ils ont été résumés, en dernier lieu, dans le rapport d'information présenté en 1994 par M. Jacques Barrot, alors président de la commission des finances de l'Assemblée nationale (rapport no 1273 enregistré le 25 mai 1994, notamment p. 63 et suivantes).
D'autre part, le texte déposé ne comportait, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, aucune incidence directe sur les charges publiques. L'on ne saurait, en effet, sérieusement soutenir - sauf à faire prévaloir une conception particulièrement restrictive du pouvoir d'initiative consacré par l'article 39 - que l'article 40 interdit aux parlementaires de proposer des mesures susceptibles d'avoir des incidences indirectes en termes de coût de fonctionnement pour les administrations ou les juridictions.
b) Cela étant, on peut s'interroger sur le caractère opérant d'un tel moyen à l'égard du texte, tel qu'il a été finalement adopté. Si les mesures de compensation figurant à l'article 12 de la proposition n'avaient pas été suffisantes, l'irrecevabilité qui en aurait résulté n'aurait affecté que les articles ayant une incidence financière, et non pas la proposition dans son ensemble, dans la mesure où ces articles sont dissociables du reste du texte (no 77-91 DC du 18 janvier 1978). La proposition de loi serait donc restée recevable pour le surplus, et aurait régulièrement été enregistrée et mise en discussion.
Dès lors que l'appréciation portée par les autorités parlementaires au regard de l'article 40 ne pouvait ainsi, en tout état de cause, faire obstacle à l'examen de la proposition, on peut se demander si la contestation des articles en cause, théoriquement opérante au moment où s'engage la discussion du texte, conserve encore un objet, à partir du moment où le Gouvernement accepte la suppression de ces gages. Il importe, en effet, de ne pas perdre de vue la portée exacte de l'article 40, qui a essentiellement pour objet d'encadrer l'initiative des parlementaires en matière financière en les plaçant en face de leurs responsabilités, et qui ne saurait avoir pour effet de limiter celle du Gouvernement. Les interdictions que comporte cet article ne s'adressant pas au Gouvernement, celui-ci peut toujours faire connaître son assentiment à l'initiative ainsi prise en supprimant les gages, c'est-à-dire en reprenant à son compte les articles ayant une incidence financière. L'adoption d'un tel amendement peut donc être regardé comme levant tout obstacle au regard de l'article 40.
La faculté ainsi reconnue au Gouvernement a été, en l'espèce, utilisée par lui le 8 décembre 1998, lors de l'examen et de la suppression de l'article 12. Il est donc permis de penser qu'à les supposer même fondées au départ, les critiques dirigées contre cet article , et tenant au caractère réel et suffisant des compensations qu'il avait auparavant prévues, se trouveraient ainsi privées de portée utile, dès lors qu'il ne figure plus dans la loi.
S'agissant enfin de l'invocation, par les sénateurs requérants, de l'article 1er de l'ordonnance organique relative aux lois de finances, elle est, en tout état de cause, inopérante, dans la mesure où l'article 7 qu'ils critiquent ne concerne pas les charges de l'Etat.
II. - Sur l'exercice de sa compétence par le législateur
A. - La loi relative au pacte civil de solidarité introduit neuf nouveaux articles dans le code civil, dont huit tendant à définir précisément les conditions de conclusion et de rupture du pacte et le régime juridique qui lui est applicable. Elle comporte, en outre, des dispositions s'insérant dans d'autres codes, notamment le code général des impôts et celui de la sécurité sociale, afin de préciser les conséquences de la conclusion de ce nouveau type de contrat sur l'application de ces différentes législations.
Les parlementaires requérants estiment cependant que le législateur est demeuré en deçà de sa compétence, s'en remettant ainsi, selon eux de manière excessive, au pouvoir réglementaire ou au juge.
Selon les députés, auteurs de la première saisine, la loi aurait dû préciser si les dispositions qui déterminent le régime du pacte civil de solidarité et du concubinage ont un caractère impératif ou facultatif et si certaines d'entre elles sont d'ordre public. Ils estiment que ni la nature, ni l'objet du pacte civil de solidarité, ni la nature des liens pouvant unir les partenaires, ni le statut de ceux-ci, n'ont été déterminés. Ils font grief au nouvel article 515-4 de ne pas prévoir la nature ni l'étendue de l'aide mutuelle, de ne pas en préciser le caractère d'ordre public, et de n'avoir prévu aucun contrôle juridictionnel préalable. Ils reprochent également à l'article 515-4 qui institue une solidarité pour certaines dettes de ne comporter aucune réserve de protection d'un partenaire contre les éventuels excès de l'autre. Ils ajoutent que les conditions d'extinction du pacte civil de solidarité ne garantissent pas les droits des partenaires. Enfin, les députés requérants soutiennent que la loi aurait dû fixer des limites au nombre de pactes pouvant être souscrits successivement par une même personne et comporter des conditions de délai et de durée.
Le recours des sénateurs fait en outre grief au texte de ne prévoir ni garanties contre les atteintes à la vie privée, ni précisions sur la filiation, l'autorité parentale, l'adoption et la procréation médicalement assistée.
B. - Cette argumentation procède d'une conception erronée des pouvoirs du législateur en la matière.
1. On soulignera, en premier lieu, que la compétence du législateur est définie en l'espèce par les dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives aux principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales et que le principe, en la matière, est celui de la liberté contractuelle.
En effet, et ainsi que l'indique l'article 515-1 nouveau du code civil, le pacte civil de solidarité est un contrat.
La loi a pour objet essentiel de définir cette catégorie particulière de conventions, comme elle l'a déjà fait dans de très nombreux domaines (contrat d'association, contrat de société, contrat de travail, contrat de bail...). Pour ce faire, elle précise l'objet du contrat. Elle fixe les modalités de formation et de dissolution du lien contractuel. Elle attache enfin au contrat légalement formé un certain nombre de conséquences juridiques, tant dans les relations entre cocontractants que dans les rapports de ceux-ci avec des tiers.
L'objet du contrat est d'organiser les relations entre deux personnes qui ont une communauté de vie et qui entendent s'apporter mutuellement un soutien matériel (article 515-4 nouveau du code civil).
La communauté de vie implique une résidence commune, ainsi que l'affirme l'article 515-3 nouveau du code civil.
La conclusion d'un pacte civil de solidarité par deux personnes suppose qu'il existe entre elles des liens étroits. La loi n'oblige pas les pactisants à avoir entre eux des relations sexuelles, contrairement au mariage qui impose une communauté de vie impliquant une relation charnelle. A fortiori, elle ne pose pas d'obligation de fidélité mutuelle.
Pour autant, le législateur n'a pas ignoré que, dans la grande majorité des cas, la vie commune de deux personnes liées par un pacte civil de solidarité comporterait un élément sexuel. C'est en raison de la forte probabilité de tels liens que le législateur a interdit la conclusion d'un pacte civil de solidarité entre certaines catégories de personnes.
Dans tous les domaines où le législateur n'a pas fixé de règles impératives, les personnes liées par un pacte pourront déterminer librement le contenu de celui-ci, conformément au principe de liberté contractuelle découlant de l'article 1134 du code civil, et sous réserve de respecter l'ordre public (article 6 du code civil).
Au regard de l'objet du texte et de la norme de référence que constitue la notion de principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales, la Constitution n'imposait pas au législateur d'en dire davantage.
2. En deuxième lieu, l'étendue de cette compétence ne saurait être affectée par l'analogie, à laquelle les requérants tentent de se livrer, avec l'institution du mariage. Celle-ci concernant l'état des personnes, l'article 34 assigne au Parlement une compétence spécifique lorsqu'il entend régir cette matière. Mais tel n'est nullement le cas du pacte civil de solidarité qui a, comme on l'a déjà souligné, une nature exclusivement contractuelle. Il se différencie fortement en cela du mariage. A cet égard, la conclusion d'un pacte civil de solidarité n'a, en particulier, aucun effet sur le statut des personnes concernées au regard de l'état civil. Contrairement au mariage et au divorce, le pacte ne donne pas lieu à une mention en marge de l'acte de naissance.
Il est clair, à cet égard, que des personnes liées par un pacte civil de solidarité ne peuvent pas, dans le silence de la loi, être assimilées à des personnes mariées. Une telle assimilation ne sera possible, au regard d'autres législations, que si le législateur l'a expressément prévu.
C'est ainsi que le III de l'article 4 de la loi dispose qu'en matière d'impôt sur le revenu et d'impôts directs locaux, les dispositions concernant les personnes mariées seront applicables aux personnes ayant conclu un pacte si celles-ci font l'objet d'une imposition commune, c'est-à-dire si elles remplissent la condition de trois ans fixée au I du même article .
Quant aux personnes liées par un pacte enregistré depuis moins de trois ans, elles entreront nécessairement dans la catégorie des « personnes célibataires, veuves ou divorcées », pour l'application des textes fiscaux qui n'envisagent que ces différentes catégories, à côté de celle des couples mariés.
3. En troisième lieu, la loi déférée ne peut davantage être utilement critiquée au motif qu'elle ne précise pas comment seront considérés les partenaires d'un pacte au regard des diverses législations dont l'application conduit à qualifier des personnes de concubins ou de célibataires. Ces diverses législations leur seront ou non applicables en fonction de leur objet et des critères qu'elles retiennent.
A cet égard, il convient de souligner que, lorsque des textes ne font pas référence exclusivement au mariage mais prennent en compte la situation de fait que constitue le concubinage (ou, comme cela est parfois écrit, le fait de « vivre maritalement »), il y a lieu, en principe, d'assimiler la situation des personnes liées par un pacte civil de solidarité à celle des personnes vivant en concubinage, sans que l'on puisse utilement reprocher à la loi déférée de n'avoir pas expressément pris parti sur ce point.
En effet, le concubinage est défini par l'article 515-8 nouveau du code civil, issu de l'article 3 de la loi, comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Dans la mesure où le pacte civil de solidarité a pour objet d'organiser la vie commune de deux personnes qui résident en un même lieu et se doivent une aide mutuelle et matérielle, la situation de fait qui existe entre ces deux personnes correspond normalement à la définition du concubinage, à cette différence près que le pacte vient inscrire cette situation de fait dans des rapports de droit.
Par conséquent, lorsqu'un texte législatif ne fait pas expressément référence aux personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité mais qu'il opère, en revanche, une distinction entre les personnes célibataires ou isolées, d'une part, et les personnes vivant « en couple », d'autre part (quelle que soit l'expression employée : « concubins », « personnes vivant maritalement »), les partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité se trouveront nécessairement dans la seconde catégorie puisque le pacte comporte un engagement de vie commune.
Ainsi, par exemple, l'article L. 339 du code de la santé publique donne qualité à la personne vivant en concubinage avec un malade mental pour requérir la levée de l'hospitalisation effectuée à la demande d'un tiers. Les personnes liées par un pacte civil de solidarité se trouveront, au regard de ces dispositions, dans une situation de fait correspondant au concubinage.
Il n'est donc pas nécessaire que la loi vienne préciser comment doivent être considérées les personnes liées par un pacte civil de solidarité au regard des diverses dispositions législatives qui emploient le mot « célibataire », lequel ne figure d'ailleurs pas dans le code civil et n'a pas d'acception juridique univoque (signifiant tantôt « personne non mariée », tantôt « personne ne vivant pas en couple »). Il suffit d'appliquer les règles d'interprétation qui découlent nécessairement de la loi définissant le pacte civil de solidarité :
- les personnes liées par un pacte civil de solidarité ne sont pas des personnes mariées et elles ne peuvent, par conséquent, bénéficier des droits ouverts aux couples mariés que si le texte définissant ces droits le prévoit expressément ;
- les personnes liées par un pacte civil de solidarité se trouvent en principe dans une situation correspondant à celle des personnes « vivant maritalement » ou « en situation de concubinage » ; par conséquent, à chaque fois qu'un texte établit une différence entre « ceux qui vivent en couple » et ceux « qui vivent seuls » (que ces derniers soient définis comme des « personnes isolées » ou des « célibataires »), il y a lieu de les assimiler à la première catégorie.
En d'autres termes, ces différentes questions trouveront normalement leur solution en application des règles régissant l'interprétation des lois, et le législateur n'est pas, en l'espèce, resté en deçà de la compétence que lui assigne l'article 34 de la Constitution en ne fournissant pas, dans la présente loi, une grille exhaustive d'interprétation pour d'autres textes.
4. Enfin, les autres griefs tenant au fait que le législateur serait resté en deçà de sa compétence n'appellent que de brèves observations :
a) C'est à tort que les requérants invoquent un défaut de précision de la loi quant au caractère impératif ou non des nouvelles dispositions du chapitre Ier du titre XII nouveau du code civil relatives au pacte civil de solidarité. La loi ne comporte, en effet, aucune ambiguïté : il résulte des termes mêmes de son article 1er, qui édicte ces dispositions, qu'elles ont un caractère impératif, à l'exception de celles relatives à l'indivision.
Ainsi, par exemple, les partenaires liés par un pacte sont tenus, aux termes du premier alinéa de l'article 515-4 nouveau du code civil, de s'apporter une aide mutuelle et matérielle. Ils ne peuvent échapper à cette obligation. Toute clause figurant dans un pacte par laquelle ils tenteraient de s'en exonérer serait sans effet devant les juridictions en cas de contentieux les opposant l'un à l'autre. De même, si un pacte conclu entre deux personnes ne comporte, contrairement à la loi, aucune clause fixant les modalités de l'aide mutuelle, il appartiendra au juge, en cas de conflit, d'en délimiter les contours, comme il l'a fait en ce qui concerne le devoir de secours prévu par l'article 212 du code civil.
A l'inverse, il ressort de la lettre même de l'article 515-5 nouveau du code civil que les dispositions concernant le régime d'indivision des biens acquis par des personnes liées par un pacte présentent un caractère supplétif. Les partenaires sont libres de s'en écarter dans le pacte qu'ils souscrivent. Ce n'est qu'à défaut de stipulations contraires qu'il trouve à s'appliquer.
b) La loi n'exige pas que les partenaires liés par un pacte civil de solidarité aient un domicile commun mais elle leur impose une résidence commune.
Le domicile est une notion juridique, définie aux articles 102 à 111 du code civil. Il s'agit du lieu du principal établissement d'une personne. C'est là qu'elle fixe le centre de ses intérêts et peut être régulièrement jointe dans les actes de la vie civile et professionnelle. Une personne ne peut avoir simultanément plusieurs domiciles. Enfin, le domicile n'est pas forcément le lieu où la personne habite.
La résidence est, à l'inverse, une notion de fait. C'est l'endroit où une personne vit habituellement. Une même personne peut avoir plusieurs résidences en même temps.
Le code civil oblige les époux à disposer d'une résidence commune (article 215 du code civil). Il leur permet, en revanche, d'avoir des domiciles, notamment professionnels, distincts.
Les personnes liées par un pacte civil de solidarité se trouveront dans une situation identique. Elles devront disposer d'une résidence commune mais pourront avoir des domiciles séparés.
c) Si la loi ne « détermine pas les règles applicables en matière de parentalité et notamment de paternité en cas d'enfant » (saisine des députés), c'est précisément que la conclusion d'un pacte civil de solidarité est dépourvue d'effet en ce domaine.
d) La disposition selon laquelle « les partenaires sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un d'eux pour les besoins de la vie courante et pour les dépenses relatives au logement commun » se suffit à elle-même et n'appelait pas de précisions complémentaires de la part du législateur.
La notion de « besoins de la vie courante » figure d'ores et déjà à l'article 220 du code civil. La jurisprudence en a clairement défini les contours. Cette notion couvre les dettes, contractuelles ou non contractuelles, liées aux actes habituels de la vie (achat de nourriture et de vêtements, dépenses de transport, acquisition et entretien d'une automobile). En sont exclues les dépenses manifestement excessives eu égard au train de vie de personnes concernées.
Quant à la notion de « dépenses relatives au logement commun », elle ne présente aucune difficulté d'interprétation.
e) Enfin, on ne voit pas pour quelle raison la loi aurait dû fixer une limite au nombre de pactes pouvant être successivement souscrits par une même personne. A cet égard, on remarquera que, même pour une institution comme le mariage, le code civil ne fixe aucune limite quant au nombre de mariages pouvant être successivement contractés par une même personne. On ne voit pas, non plus, pourquoi le législateur aurait dû prévoir un délai entre la dissolution d'un pacte et la conclusion d'un nouveau.
Rappelons à cet égard, que si un délai de trois cents jours entre la dissolution d'un mariage et le remariage est imposé à la femme, c'est en vue d'éviter des difficultés quant à la détermination de la paternité en cas d'accouchement durant cette période.
III. - Sur les conditions de conclusion
du pacte civil de solidarité
A. - Le pacte civil de solidarité est un contrat qui a pour objet, comme le précise le nouvel article 515-1 introduit dans le code civil par l'article 1er de la loi déférée, d'organiser la vie commune de deux personnes qui ont choisi de contracter à cette fin.
L'article 515-2 énonce un certain nombre d'empêchements, tendant à interdire la conclusion d'un pacte civil de solidarité entre certains types de personnes. Par ailleurs, l'article 515-3 définit les modalités d'enregistrement de la déclaration conjointe qui doit être faite au greffe du tribunal d'instance ou, le cas échéant, auprès des agents diplomatiques et consulaires.
Cet article 515-3 prévoit que les personnes ayant conclu entre elles une convention à laquelle elles souhaitent faire produire les effets d'un pacte civil de solidarité doivent transmettre au greffe du tribunal d'instance les deux originaux de cette convention destinés, conformément à l'article 1325 du code civil, à chacun des deux signataires. Elles doivent aussi produire les pièces d'état civil permettant de vérifier qu'aucun signataire n'est engagé dans les liens du mariage et qu'il n'existe pas entre eux des liens de famille empêchant la conclusion d'un pacte. Chaque signataire doit également produire un certificat, délivré par le greffe du tribunal d'instance de son lieu de naissance, pour attester qu'il n'est pas partie à un pacte civil de solidarité en cours de validité.
Pour contester ces dispositions, les sénateurs requérants invoquent la méconnaissance du principe d'égalité par les dispositions relatives aux empêchements qui ne reposent, selon eux, sur aucune justification, qu'il s'agisse des prohibitions liées à la parenté ou à l'alliance, ou de celles frappant les mineurs émancipés. Ces dispositions méconnaîtraient également la liberté contractuelle, qu'ils déduisent des dispositions de l'article 1123 du code civil.
Par ailleurs, la saisine des sénateurs conteste, tout comme celle des députés, les modalités d'enregistrement et de publicité prévues par la loi, en soutenant notamment qu'elles portent atteinte au respect de la vie privée.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
1. S'agissant d'abord des empêchements édictés par le législateur, ils sont justifiés par des motifs d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi.
a) En premier lieu, les mineurs ne pourront pas conclure de pacte civil de solidarité. Il est en effet normal que les personnes n'ayant pas la libre disposition de leurs biens ne puissent souscrire un engagement dont l'objet principal est d'organiser les relations patrimoniales entre deux individus.
A cet égard, les sénateurs font grief à la loi de ne pas autoriser les mineurs émancipés à souscrire un tel engagement.
Il est vrai que l'article 481 du code civil prévoit qu'un mineur émancipé a la même capacité juridique qu'un majeur. Toutefois, cette règle connaît des exceptions :
- le mineur émancipé ne peut se marier, ni consentir à se faire adopter, sans l'autorisation de ses parents (article 481 du code civil) ;
- il ne peut être commerçant (article 487 du code civil).
Ces exceptions sont fondées sur un souci de protection de l'intéressé. C'est un motif de même nature qui a conduit le législateur à écarter la possibilité pour les mineurs émancipés de souscrire un pacte civil de solidarité, compte tenu de la grande liberté laissée aux cocontractants pour déterminer l'organisation matérielle de leur vie commune et des conséquences patrimoniales importantes pouvant en résulter.
b) En second lieu, et ainsi qu'il a été dit plus haut, le pacte civil de solidarité a pour objet d'organiser, sur un plan matériel, les rapports entre deux personnes qui vivent en commun. La loi n'attache donc pas à la conclusion d'un pacte des conséquences autres que matérielles. En particulier, elle n'implique pas nécessairement des relations sexuelles entre les partenaires.
Le législateur a cependant bien été conscient que, dans la plupart des cas, cette nouvelle catégorie de contrat sera conclue entre deux adultes partageant un même lit. Il a donc entendu éviter qu'elle soit utilisée pour tourner les règles et, en particulier, les interdictions, applicables au mariage. C'est pourquoi il a prévu qu'un pacte ne pourra pas être passé, notamment :
- entre ascendants et descendants en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré inclus ;
- entre deux personnes dont l'une au moins est engagée dans les liens du mariage.
La première prohibition a pour objet d'éviter que le pacte civil de solidarité ne permette d'institutionnaliser l'inceste et, plus généralement, de tourner les empêchements existant en matière de mariage.
La seconde tient compte de l'existence, dans le régime du mariage, du devoir de fidélité, de secours et d'assistance que se doivent les époux. Le législateur a voulu que le pacte civil de solidarité ne puisse pas être utilisé pour couvrir juridiquement des relations adultérines.
Lors de l'enregistrement d'un pacte au greffe du tribunal d'instance, les partenaires devront produire les pièces permettant au greffier de vérifier que ces différentes interdictions sont respectées. A défaut de production de ces pièces, l'enregistrement ne pourra avoir lieu.
Par ailleurs, si, malgré la procédure de vérification préalable au moment de l'enregistrement, un pacte violant les interdictions énoncées à l'article 515-12 du nouveau code civil venait à être enregistré, notamment en raison d'une fraude des déclarants, il serait frappé de nullité absolue.
En effet, ces interdictions intéressent l'ordre public. Dans de tels cas, le ministère public pourra toujours demander au juge compétent de prononcer l'annulation du pacte, conformément à la règle posée par l'article 423 du nouveau code de procédure civile.
2. Les requérants ne sont pas davantage fondés à critiquer les modalités retenues pour l'enregistrement du pacte.
Au vu des pièces d'état civil et des certificats des tribunaux d'instance, le greffier s'assurera que les déclarants sont tous deux majeurs et que les conditions posées par l'article 515-2 nouveau du code civil sont bien respectées.
Le greffier vérifiera en outre l'existence d'une convention mais sans en contrôler le contenu.
A cet égard, le fait que la convention contienne des clauses violant des dispositions impératives de la loi (par exemple, une clause déliant chacun des partenaires de tout devoir d'aide matérielle à l'égard de l'autre) ne constituera pas une cause de refus d'enregistrement. Simplement, les clauses en question seront frappées de nullité relative, c'est-à-dire qu'un partenaire ne pourra pas les invoquer utilement devant un juge pour s'exonérer des obligations mises à sa charge par la loi.
Une fois les vérifications effectuées, le greffier apposera son visa et datera les deux exemplaires originaux de la convention. Il restituera ces exemplaires aux signataires et n'en conservera pas de copie. En revanche, il mentionnera l'existence du pacte sur un registre ad hoc, tenu au greffe du tribunal d'instance, et transmettra les informations au tribunal d'instance du lieu de naissance de chacun des intéressés afin que les registres ad hoc de ces deux juridictions soient mis à jour.
L'enregistrement du pacte conférera à celui-ci date certaine et le rendra opposable aux tiers. Sur ce point, la formulation figurant au sixième alinéa du nouvel article 515-3 du code civil se borne à faire application du principe général énoncé à l'article 1328 du même code.
Toute modification du contenu de la convention devra, pour être opposable aux tiers, faire l'objet d'une déclaration auprès du tribunal d'instance ayant initialement enregistré le pacte civil de solidarité.
Pour autant, l'on ne peut sérieusement soutenir que les modalités ainsi retenues porteraient atteinte à la vie privée des partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Deux personnes qui vivent ensemble peuvent naturellement choisir de ne pas faire produire à leur union d'effets juridiques à l'égard des tiers. S'ils décident en revanche de le faire, il est normal que la loi institue un minimum de formalités permettant de tenir compte des droits des tiers. Ce faisant, le législateur se borne à concilier les diverses exigences qui s'imposent à lui.
IV. - Sur les règles applicables aux obligations des partenaires liés par un pacte civil de solidarité et au régime de leurs biens
A. - L'objet du pacte civil de solidarité étant, comme le précise le nouvel article 515-1, de permettre à deux personnes de conclure un contrat en vue d'organiser leur vie commune dans un esprit de solidarité, la loi précise, dans les articles suivants, les modalités de cette solidarité.
C'est ainsi que l'article 515-4 pose le principe d'une aide mutuelle et matérielle, tout en chargeant les contractants d'en préciser les modalités. Le même article institue également une solidarité des partenaires à l'égard des tiers pour les dettes contractées par l'un deux pour les besoins de la vie courante et pour les dépenses relatives au logement commun.
Par ailleurs, l'article 515-5 précise le régime des biens acquis par les partenaires d'un pacte civil de solidarité : le contrat devra préciser s'ils entendent soumettre les meubles meublants acquis par les partenaires au régime de l'indivision ; à défaut, ils seront présumés indivis par moitié. Les autres biens seront également indivis par moitié si l'acte d'acquisition ou de souscription n'en dispose pas autrement.
Pour contester ces dispositions, les sénateurs invoquent une méconnaissance du droit de propriété. Ce droit serait méconnu par l'obligation, que la loi ferait aux partenaires, de demeurer dans l'indivision. En outre, la présomption d'indivision pesant sur les meubles dont la date d'acquisition ne peut être déterminée porterait atteinte au droit de propriété d'un des partenaires. Il en irait de même pour les autres biens, en l'absence de clause dans l'acte d'acquisition. Les requérants soutiennent également que la loi porte atteinte aux droits des créanciers en les empêchant de poursuivre une créance sur l'un des partenaires sans se heurter au régime prévu par la loi.
B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire droit à cette argumentation.
1. En premier lieu, il convient de souligner qu'au regard du régime de l'indivision, le nouvel article 515-5 du code civil présente un caractère supplétif.
Les signataires d'un pacte civil de solidarité pourront librement organiser leurs relations patrimoniales dans le cadre de la convention conclue entre eux avant l'enregistrement du pacte, sous réserve de respecter l'ordre public. Ils pourront, en particulier, choisir le régime conventionnel d'indivision régi par les articles 1873-2 et suivants du code civil, en respectant notamment les formalités de publicité foncière prescrites par cet article si leur convention porte sur des biens immobiliers indivis.
Ce n'est que lorsque la convention sera muette sur l'organisation patrimoniale des partenaires, que leurs biens seront soumis au régime résumé plus haut, fixé par l'article 515-5 nouveau du code civil.
C'est ainsi que, pour les biens immobiliers situés en France, le contenu de l'acte d'acquisition, qui, pour la publicité foncière, doit donner lieu à un acte notarié, permettra de déterminer dans tous les cas le régime de propriété du bien ainsi que, le cas échéant, la quote-part attribuée à chacun. En revanche, en ce qui concerne les biens immobiliers situés à l'étranger, la présomption d'indivision par moitié pourra jouer lorsque l'acte d'acquisition ne comportera pas d'énonciation permettant de déterminer le régime du bien.
Les présomptions définies par la loi sont des présomptions simples. Elles peuvent être écartées dès lors qu'existe une preuve contraire. Elles peuvent également être écartées par voie conventionnelle.
Contrairement à ce qui est soutenu dans la saisine des sénateurs, il n'est nullement dérogé à la règle posée par l'article 815 du code civil, selon laquelle « nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision » cette règle n'ayant d'ailleurs pas valeur constitutionnelle.
Il est donc clair que les partenaires d'un pacte civil de solidarité pourront, à tout moment, décider de sortir de l'indivision d'un commun accord.
D'une part, ils pourront, en modifiant le contenu de leur convention initiale, changer pour l'avenir le régime des biens acquis en commun.
D'autre part, ils pourront décider le partage des biens acquis par le passé sous le régime de l'indivision légale, conformément aux règles de droit commun en la matière. Lorsque ce partage ne pourra pas s'effectuer d'un commun accord, les partenaires devront s'adresser au juge.
2. S'agissant, en second lieu, des droits des créanciers, le régime d'indivision ainsi prévu n'y portera nullement atteinte, pas plus que ne le fait, de manière générale, le droit commun auquel il est renvoyé.
On rappellera, à titre liminaire, que, pour les dépenses liées à la vie courante et à l'entretien du logement, chacun des partenaires sera solidairement responsable des dettes contractées par l'autre.
On rappellera également qu'il n'existe actuellement, en droit français, aucun mécanisme général de publicité permettant aux créanciers de se renseigner sur la teneur et les modalités d'organisation du patrimoine de leur débiteur. La loi ou les règlements ont seulement organisé des mesures sectorielles, par exemple la publicité foncière en ce qui concerne les biens immobiliers, les mesures spécifiques sur les changements de régime matrimonial ou encore l'obligation faite aux commerçants d'assurer la publicité de leur régime matrimonial dans le registre du commerce et des sociétés (décret no 84-406 du 30 mai 1984 modifié, articles 8, 12 et 27).
Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs, le législateur n'était nullement tenu de prévoir « une information des créanciers quant aux conclusions et ruptures du pacte civil de solidarité ». Une telle information n'existe d'ailleurs pas, actuellement, lorsque des personnes décident de passer une convention relative à l'exercice de droits indivis en application des articles 1873-1 et suivants du code civil, la seule formalité requise étant l'accomplissement des démarches de publicité foncière lorsque la convention porte sur des biens immobiliers (article 1873-2). Il n'existe pas non plus de procédure d'information spécifique des créanciers lorsqu'un homme et une femme se marient ou bien divorcent.
Quant aux modalités d'exercice des droits des créanciers à l'égard de deux personnes liées par un pacte civil de solidarité et possédant des biens en indivision, elles sont réglées par l'article 815-17 du code civil, qui s'applique au régime d'indivision légal comme au régime conventionnel (article 1873-15 du code civil).
V. - Sur le régime fiscal applicable aux personnes
liées par un pacte civil de solidarité
A. - Ce régime est précisé par trois articles de la loi déférée.
L'article 4 insère, dans l'article 6 du code général des impôts, des dispositions tendant à permettre, sous certaines conditions, l'imposition commune, à l'impôt sur le revenu, des personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité depuis trois ans.
L'article 5 est relatif aux droits de mutation à titre gratuit. Il crée, dans le même code, un article 777 bis précisant les taux d'imposition applicables à la part nette revenant au partenaire lié au donateur ou au testateur par un pacte civil de solidarité, sous réserve, s'agissant des donations, que le pacte ait été conclu depuis au moins deux ans. Le même article 5 ajoute, à l'article 779 du code général des impôts, des dispositions relatives à l'abattement appliqué à chaque part.
Enfin, l'article 6 modifie les dispositions relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune afin d'assimiler les partenaires d'un pacte civil de solidarité à des époux au regard des règles régissant cet impôt, et notamment de celles permettant d'apprécier le seuil d'imposition.
Selon les parlementaires requérants, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques. Ils estiment, en effet, que les dispositions en cause introduisent une rupture d'égalité entre les partenaires d'un pacte civil de solidarité et les couples mariés, compte tenu des charges familiales et des devoirs spécifiques de ces derniers, ainsi qu'entre les premiers et les concubins, dans la mesure où les uns et les autres sont dans la même situation, et devraient, dès lors, bénéficier des mêmes avantages.
Les auteurs des saisines considèrent que le coût des avantages accordés aux partenaires d'un pacte civil de solidarité pèsera sur les autres contribuables, notamment les célibataires, sans qu'aucun intérêt général puisse le justifier.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que les dispositions contestées sont conformes au principe d'égalité devant l'impôt.
Les choix retenus en l'espèce s'inscrivent, en effet, dans le cadre des orientations dégagées en la matière par la jurisprudence, notamment par la décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981 pour la définition du foyer fiscal, et par la décision no 96-385 DC du 30 décembre 1996 pour les règles régissant le quotient familial : il en résulte que le législateur dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer les règles d'assiette et de calcul des impôts, sous réserve de fonder son appréciation, et notamment les distinctions qu'il établit, sur des critères objectifs et rationnels, et de ne pas introduire de rupture caractérisée dans l'égalité entre les contribuables.
Pour apprécier la pertinence des critères retenus, il importe de considérer l'objet de chacune des législations en cause.
1. S'agissant, en premier lieu, de l'imposition des revenus, le principe est, depuis la loi de finances pour 1946, celui de la prise en compte du foyer fiscal, lequel repose largement sur une approche socio-économique : comme le souligne le rapport présenté en 1996 par MM. Ducamin, Baconnier et Briet sur les prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les ménages, « le quotient familial repose dans son principe sur le nombre d'unités de consommation, lui-même dépendant du nombre de personnes vivant au foyer ». A cet égard, le 11e rapport présenté en 1990 par le Conseil des impôts met bien en évidence le double aspect du mécanisme du quotient familial : d'une part, la prise en compte de la vie conjointe de deux personnes qui mettent en commun leurs ressources et leurs dépenses, d'autre part la modulation du quotient sous forme de demi-parts supplémentaires - avec un effet d'atténuation sur la progressivité de l'impôt - en fonction des charges de famille.
C'est essentiellement ce second aspect, qui constitue l'un des instruments de la politique familiale, comme le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997, qui est conçu objectivement comme un avantage. C'est bien pourquoi des mécanismes de plafonnement ont été institués, et ne l'ont été que dans ce seul cas des demi-parts supplémentaires, afin d'éviter que cet avantage s'élève de manière excessive avec le niveau des revenus du foyer. En revanche le premier aspect - c'est-à-dire le principe d'une imposition commune des revenus du couple, assorti en contrepartie de l'attribution de deux parts - n'a pas pour objet d'accorder des avantages, mais essentiellement d'appréhender « l'unité socio-économique de base où les ressources sont mises en commun, où se décident la consommation et l'épargne » (rapport précité du Conseil des impôts, p. 230).
En d'autres termes, l'imposition commune du couple avec attribution de deux parts tend essentiellement à établir une unité d'imposition en fonction du niveau de vie, en parfaite conformité avec les exigences déduites de l'article 13 de la Déclaration de 1789, qui invite le législateur à tenir compte des facultés contributives. A cet égard, il convient de souligner que l'importance et même l'existence de l'avantage qui résulterait de ce mécanisme ne vont pas de soi. Elles dépendent, en réalité, de plusieurs facteurs : situation d'origine de deux personnes qui décident d'unir leurs vies suivant qu'auparavant chacune vivait seule ou dans sa famille, niveau et répartition des revenus respectifs. Même s'il est exact que, dans certains cas, l'application du régime prévu par l'article 4 de la loi à deux personnes qui vivaient déjà ensemble peut leur être favorable, il en ira différemment dans bien des cas, au regard des mécanismes de décote et de réduction mentionnés à l'article 197 du code général des impôts, et notamment dans tous ceux où les deux partenaires perçoivent des revenus similaires.
Il est donc inexact de prétendre, comme le font les requérants, que le quotient « conjugal » ne pourrait trouver sa justification que dans des impératifs tirés de la politique familiale, entendue comme ne pouvant concerner que les couples mariés qui, à défaut d'avoir des enfants, ont au moins vocation à en avoir. Et c'est, par suite, en vain que les requérants se fondent sur le caractère selon eux injustifié de cette mesure pour critiquer le principe de l'imposition commune des partenaires liés par un pacte civil de solidarité.
Quant au caractère objectif et rationnel des critères mis en oeuvre pour assimiler à cet égard ces derniers aux couples mariés, mais non les concubins, il ne peut être sérieusement contesté : pour appréhender la consistance de l'unité d'imposition que constitue le couple, il est légitime de distinguer entre la situation de fait qu'est le concubinage et l'existence de liens juridiques comme ceux qui se nouent, d'une part entre deux époux, d'autre part, à un degré évidemment moindre, entre deux partenaires d'un pacte civil de solidarité. Et l'on peut d'autant moins reprocher au législateur d'avoir assimilé ces deux catégories qu'il a précisément tenu compte de la différence entre le mariage et le pacte en exigeant, pour le second, un délai d'épreuve de trois ans qui n'est nullement prévu pour le premier.
On relèvera enfin qu'à ces éléments tirés d'une différence objective de situation, s'ajoutent, en tout état de cause, des considérations d'intérêt général : du point de vue social, il existe un intérêt peu discutable à faire en sorte que la vie commune et la solidarité entre deux personnes puissent s'organiser et se stabiliser, et à en tirer toutes les conséquences, y compris en matière fiscale.
2. En deuxième lieu, les requérants ne sont pas davantage fondés à critiquer le choix du Parlement quant au régime des droits de mutation à titre gratuit.
A cet égard, il convient de souligner que la loi ne modifie en rien les règles applicables en matière successorale. Elle n'affecte, en particulier, nullement les droits des enfants et plus généralement des héritiers réservataires. Elle se borne à prendre en compte, en ce qui concerne la détermination des abattements et des taux permettant de calculer l'impôt, le lien de droit qui caractérise la communauté de vie existant, ou ayant existé, entre le bénéficiaire et le donateur ou testateur avec lequel il a conclu un pacte civil de solidarité.
Là aussi, le législateur a pris en compte la spécificité de ce contrat en subordonnant en principe à un délai de deux ans l'application de ces taux en matière de donations.
3. En troisième lieu, et enfin, c'est en fonction d'une logique tout aussi conforme aux exigences constitutionnelles que le législateur a décidé de prendre en compte le patrimoine des deux partenaires pour apprécier le seuil et le taux d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune, tout comme il avait déjà assimilé à bon droit, au regard de l'objet spécifique de cet impôt, les concubins et les couples mariés (no 81-133 DC du 30 décembre 1981).
VI. - Sur les conditions de rupture
du pacte civil de solidarité
A. - Ces conditions sont définies par les articles 515-6 et 515-7 nouveaux, introduits dans le code civil par l'article 1er de la loi déférée.
Il en résulte que, outre le cas du décès de l'un des partenaires, cette rupture peut intervenir :
- d'un commun accord ; elle prend alors effet à la date où les deux partenaires font enregistrer une déclaration conjointe au greffe du tribunal d'instance ;
- unilatéralement, soit que l'un des partenaires se marie, soit qu'il fasse part à l'autre de sa volonté de mettre fin au pacte. Dans le premier cas, la date d'effet de la rupture du pacte se situe le jour du mariage, dans le second cas, elle intervient trois mois après que la décision de rompre a été notifiée au partenaire. Dans tous les cas, le partenaire qui se marie ou qui veut rompre doit informer l'autre par signification d'huissier, selon les formes prescrites aux articles 653 et suivants du nouveau code de procédure civile.
Le dernier alinéa du nouvel article 515-7 du code civil prévoit que les partenaires devront normalement régler d'un commun accord les modalités de liquidation des droits et obligations résultant du pacte dissous. A défaut d'accord, le juge sera appelé à statuer sur les conséquences patrimoniales de la rupture.
Pour contester ces dispositions, les requérants font valoir qu'elles instituent une forme de répudiation contraire à la dignité de la personne humaine. Ils soutiennent également que cette faculté de rupture unilatérale méconnaît les principes régissant les contrats et ignore le sort des enfants. Ils font en outre grief à la loi de ne pas mettre en place un mécanisme de compensation.
Les sénateurs auteurs de la seconde saisine prétendent, enfin, qu'en cas de dissolution du pacte civil de solidarité, l'attribution préférentielle pourrait jouer en faveur des partenaires dans des conditions plus favorables que pour les époux divorcés et qu'elle pourrait, en cas de décès de l'un des partenaires, léser les ayants droit de celui-ci et avantager indûment le partenaire survivant.
B. - Aucun de ces moyens ne peut être accueilli.
1. S'agissant, en premier lieu, du raisonnement par l'analogie avec le mariage, il est inopérant.
On rappellera, en effet, que le pacte civil de solidarité n'est nullement une forme de mariage mais un contrat par lequel deux personnes vivant en commun organisent leurs relations matérielles. Sa rupture ne saurait être assimilée à un divorce, et encore moins à une répudiation. C'est d'ailleurs précisément parce qu'il n'a pas voulu introduire une assimilation entre l'institution du mariage et le pacte civil de solidarité que le législateur n'a pas subordonné à une décision judiciaire la dissolution de ce dernier. Il s'est donc borné à faire application de la règle générale selon lequel il peut être mis fin à tout moment aux conventions conclues pour une durée indéterminée.
Cette règle, qui peut se rattacher au principe de la liberté contractuelle, a été énoncée dans de nombreux arrêts de la Cour de cassation (cf., par exemple, 1re chambre civile, 5 février 1985, bull. I no 54).
Contrairement à ce que soutiennent les députés saisissants, le fait que les dispositions relatives au pacte civil de solidarité aient été insérées dans le livre Ier du code civil est sans incidence sur l'application de cette règle.
2. En deuxième lieu, on soulignera que le législateur a encadré les modalités de rupture du pacte civil de solidarité comme pour beaucoup d'autres conventions à durée indéterminée, en précisant et en distinguant, comme il a été indiqué plus haut, les conditions de la rupture, suivant qu'elle intervient d'un commun accord ou à l'initiative d'un seul des partenaires.
3. En troisième lieu, lorsqu'il sera mis fin à un pacte civil de solidarité liant des personnes ayant des enfants en commun, les parents se trouveront dans la même situation juridique que des concubins qui mettent fin à leur vie commune. En effet, et ainsi qu'il a déjà été souligné, l'existence d'un pacte civil de solidarité est totalement dépourvue d'effet en ce qui concerne les enfants que les partenaires peuvent avoir en commun ou chacun de leur côté.
Conformément au droit commun, d'éventuels litiges entre les anciens partenaires concernant la situation de leurs enfants communs devront être portés devant le juge aux affaires familiales.
4. En outre, le juge pourra allouer, le cas échéant, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi non pas du fait de la rupture elle-même, mais des conditions dans lesquelles celle-ci sera intervenue. En ce domaine, la jurisprudence bâtie par les juridictions de l'ordre judiciaire à propos du concubinage, aux termes de laquelle « si la rupture d'une union libre ne peut en principe justifier l'allocation de dommages-intérêts, il en est autrement lorsqu'il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur » (Cour de cassation, 1re chambre civile, 29 novembre 1997, bull. I no 449 ; 31 janvier 1978, bull. I no 39 ; 30 juin 1992, bull. I no 204), sera entièrement transposable.
5. Enfin, le moyen relatif à l'attribution préférentielle manque en fait. La loi se borne en effet à prévoir que le mécanisme d'attribution préférentielle, qui existe déjà dans le code civil pour le conjoint et les héritiers copropriétaires (c'est-à-dire en premier lieu les enfants), sera applicable en cas de dissolution du pacte civil de solidarité.
VII. - Sur la définition du concubinage
A. - L'article 3 de la loi déférée introduit dans le code civil un nouvel article 518-8 ayant pour objet de donner une définition du concubinage, entendu comme étant « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».
Pour contester cette disposition, les sénateurs, auteurs du second recours, font valoir qu'elle porte atteinte aux droits des concubins en exigeant une condition de stabilité et de continuité de la vie commune, dont l'appréciation pourrait priver des personnes actuellement considérées comme concubins du bénéfice des droits sociaux qui leur sont reconnus par certains textes législatifs ou réglementaires.
B. - Cette critique repose sur une interprétation inexacte de l'état du droit.
Jusqu'à l'intervention de la présente loi, la définition du concubinage ne relevait que de la jurisprudence, faute pour les textes qui utilisent cette notion d'en avoir précisé le contenu. Cette définition jurisprudentielle retenait, d'ores et déjà, le critère de stabilité et de continuité que contestent les requérants, comme le montre, par exemple, un arrêt de la 3o chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 1997 (bull. III no 225). Cette haute juridiction s'en tenait cependant dans cet arrêt, comme dans ceux qu'avait auparavant rendus sa chambre sociale le 11 juillet 1989 (bull. V no 514), à une condition tenant à la différence de sexe entre les deux partenaires.
C'est seulement sur ce dernier point que le législateur a entendu intervenir, pour prendre également en compte la situation de deux personnes du même sexe, dans tous les cas où les textes tirent certaines conséquences juridiques de cette union de fait. La loi n'apportant aucune modification à l'état du droit sur le point critiqué par les requérants, leur moyen manque donc en fait.
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En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des moyens invoqués n'est de nature à justifier la censure de la loi déférée. Aussi le Conseil constitutionnel ne pourra-t-il que rejeter les recours dont il est saisi.